Bureaux du coeur : J’irai dormir chez vous…

iconeExtrait du magazine n°502

Plus de 330 000 personnes dorment dans la rue en France, tandis que des centaines de bureaux restent vides, le soir et les week-ends. L’association Bureaux du Cœur a créé un dispositif pour que des personnes en grande précarité y soient accueillies. Reportage à Lyon.

Par Emmanuelle Pirat— Publié le 29/03/2024 à 10h00

Hélène Tonetti, (à g.) chargée du développement des Bureaux du Cœur, Driss, accueilli, et Amélie Roux-Mayoud, du Wake up Café.
Hélène Tonetti, (à g.) chargée du développement des Bureaux du Cœur, Driss, accueilli, et Amélie Roux-Mayoud, du Wake up Café.© Bertrand Pichené

Il est un peu plus de 17 h 30. Son badge en main, Driss, 23 ans, s’apprête à regagner son « chez lui » : une salle de réunion utilisée pendant la journée par les salariés du siège de la Fondation Aralis, à Lyon, mais qui se transforme en petit studio la nuit et les week-ends.

Driss n’a qu’à pousser les paperboards, déplier sa couette, brancher son ordinateur et s’installer pour une soirée au calme. Sortant d’une période de détention, en rupture familiale, le jeune homme aurait pu se retrouver à la rue sans le dispositif Bureaux du Cœur, une association créée en 2021 par un entrepreneur de la région nantaise, et dont l’objectif est de proposer aux entreprises partenaires d’ouvrir leurs bureaux à une personne sans domicile lorsqu’ils ne sont plus occupés par les salariés.

Salle de réunion le jour au siège de la Fondation Aralis, à Lyon. Petit studio la nuit et les week-ends. Driss y est accueilli pour quelques semaines.
Salle de réunion le jour au siège de la Fondation Aralis, à Lyon. Petit studio la nuit et les week-ends. Driss y est accueilli pour quelques semaines.© Bertrand Pichene

L’hébergement peut durer trois mois, renouvelable une fois. « Il ne s’agit pas de proposer une installation sur le long terme mais bien un cadre de sécurité et de stabilité à des personnes qui sont en parcours d’insertion et pour qui le fait d’être à la rue constitue un véritable obstacle à leur rebond », précise d’emblée Hélène Tonetti, chargée du développement des Bureaux du Cœur pour la région lyonnaise. L’association, désormais présente dans 24 grandes villes en France, a défini des modalités précises de l’accompagnement tant des entreprises que des personnes invitées.

Les conditions requises pour être invité

Pour devenir « entreprise hôte », cette dernière doit pouvoir proposer un espace suffisamment propre et aménagé (un lit d’appoint ou clic-clac, un point d’eau chaude, une douche, un espace pour cuisiner ou réchauffer un repas…).

Côté invité, les conditions requises sont également bien bordées : être majeur, seul (pas de famille ni de mère avec enfants), en situation régulière ou en voie de régularisation, sans addictions ni traitements lourds. Et, bien sûr, respecter les règles fixées avec l’entreprise, comme le respect des horaires, de la propreté des lieux, etc. L’invité doit en outre être accompagné par une structure d’insertion, qui joue également un rôle déterminant dans le dispositif.

Pour Driss, la structure de référence est le Wake up Café, une association qui accompagne les sortants de prison dans leur réinsertion professionnelle et sociale.

“C’est une dynamique collective qui se met en place avec et autour de l’invité…”

Amélie Roux-Mayoud, la responsable du Wake up Café à Lyon.

Chaque mois, les différentes parties prenantes – référent dans l’entreprise hôte, référent de la structure d’insertion, responsable des Bureaux du Coeur et l’invité – se réunissent pour faire un point d’étape : avancée du projet professionnel, recherche de logement, etc. « C’est une dynamique collective qui se met en place avec et autour de l’invité », souligne Amélie Roux-Mayoud, la responsable du Wake up Café à Lyon.

Fierté des salariés

« Les gens sont surpris quand on évoque notre engagement dans les Bureaux du Cœur : “Vous laissez des gens entrer dans votre entreprise ?” Ils veulent comprendre. Et la question de la sécurité revient souvent », indique Mireille Soubeyran, responsable juridique chez Aralis. « Mais l’accompagnement par les Bureaux du Cœur permet de trouver toutes les solutions, y compris pour les badges d’accès, les assurances… »

Chez Aralis, qui a rejoint les entreprises partenaires en 2022, Driss est le troisième invité. « Non seulement nous avions tout à disposition pour accueillir une personne – comme ce logement témoin qui sert de salle de réunion ou de formation – mais cette démarche rejoint les valeurs que l’on porte chez Aralis », souligne Emmeline Probst, directrice du patrimoine de la fondation, qui gère un parc de 3 800 logements sociaux.

« Les entreprises partenaires n’ont pas toutes un lien avec le social, au contraire », précise Hélène Tonetti. Parmi les 22 entreprises hôtes lyonnaises, on compte plusieurs TPE ou PME, un espace de coworking, le cabinet de conseil KPMG et un groupe de BTP qui prête des cabanes de chantier.

Emmeline Probst, salariée de la Fondation Aralis, à l’initiative du partenariat.
Emmeline Probst, salariée de la Fondation Aralis, à l’initiative du partenariat.© Bertrand Pichené

À propos de l'auteur

Emmanuelle Pirat
Journaliste

« Quand on sait qu’on permet à une personne de dormir à l’abri, tout cela ne demande pas un gros investissement », note Laïla Khair, comptable chez Aralis. Comme les autres salariés, elle évoque sa fierté de participer à cette aventure.

Des liens forts se sont d’ailleurs créés entre l’équipe d’Aralis et Driss. « Ils ont été comme une famille. Ils m’ont accueilli, invité à certains de leurs soirées ou à partager des petits déjeuners… Cette expérience forte m’a aidé à retrouver confiance en moi », explique Driss avec émotion. D’ici à quelques jours, il rejoindra une collocation dans un nouveau logement qu’il vient de trouver. Un autre invité ou une autre invitée pourra dormir au chaud dans le petit studio.