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iconeExtrait du magazine n°499

Présidente du Comité paralympique et sportif français (CPSF), Marie-Amélie Le Fur, athlète multimédaillée souhaite que soient repensées les politiques publiques en direction des personnes en situation de handicap et compte sur les Jeux de Paris pour créer une dynamique. Rencontre.

Par Guillaume Lefèvre— Publié le 02/01/2024 à 07h06

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©Albert Facelly - Divergence

Les Jeux paralympiques 2024 débutent dans moins de huit mois (du 28 août au 8 septembre). Dans quel état d’esprit êtes-vous ?

Je suis positive, engagée et déterminée. Nous sommes dans une temporalité absolument extraordinaire pour faire avancer nos convictions: favoriser l’accessibilité des personnes en situation de handicap, mettre plus de sport dans la vie et mieux le faire connaître, valoriser et accompagner les sportifs de haut niveau. Les derniers résultats des sportifs français nous montrent d’ailleurs que nous sommes sur la bonne voie. Cela confirme aussi notre ambition de doubler le nombre de médailles que nous avons décrochées à Tokyo en 2021 (55médailles).

Qu’attendez-vous de ces Jeux ?

Ces Jeux sont une chance. J’ai vu beaucoup de choses positives lors de leur préparation. Cette dynamique doit maintenant s’inscrire dans la durée. Les Jeux doivent laisser un héritage très fort, que ce soit en termes de pratiques sportives des personnes en situation de handicap ou d’actions dans les territoires et de réflexion sur les politiques publiques.

“Maintenant, ce qu’il faut, c’est passer à des actions concrètes pour lever les freins inhérents à la pratique sportive des personnes en situation de handicap.”

Doivent-ils accélérer la prise de conscience du retard de notre pays en matière d’accessibilité ?

Je savais que vous alliez me poser cette question. La prise de conscience a déjà eu lieu, depuis plusieurs années. Les gens connaissent les Jeux paralympiques, il y a plus de visibilité dans les médias. Et quand bien même ils ne connaîtraient pas notre écosystème ni notre fonctionnement, ils savent qu’il existe des parasports. Maintenant, ce qu’il faut, c’est passer à des actions concrètes pour lever les freins inhérents à la pratique sportive des personnes en situation de handicap.

De quels freins parlez-vous ?

Ils sont de diverses natures. Il peut s’agir de la censure des parents, des médecins ou de l’école qui n’autorisent pas la pratique sportive des enfants en situation de handicap. Et d’ailleurs, puisque je parle de l’école, faire entrer les Jeux paralympiques à l’école, c’est faire découvrir le handicap aux enfants, les sensibiliser à cette problématique, les faire grandir avec cette notion, c’est favoriser le vivre-ensemble sur le long terme. Pour revenir aux freins, il y a aussi une explication plus pratique. L’accès aux infrastructures et aux matériels reste compliqué. Aujourd’hui, 1,4% des clubs seulement se déclarent capables d’accueillir des personnes en situation de handicap. Il y a un enjeu de sensibilisation et de formation. C’est la vision que je défends dans le cadre de Paris 2024 et du programme «Club inclusif». Nous permettons aux encadrants, aux éducateurs et aux bénévoles de découvrir les différentes typologies de handicap et nous leur faisons rencontrer ces publics pour les rassurer sur leur capacité à agir et à accueillir tout le monde, dans de bonnes conditions.

Pouvez-vous développer ?

Un travail doit être engagé dans et avec les collectivités pour que les politiques publiques du sport et celles du handicap soient pensées ensemble. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, elles ne se parlent pas. Cette transversalité est pourtant indispensable. Depuis le début de la préparation de ces Jeux, je perçois une mobilisation et la mise en action de tous les acteurs du parcours de vie de la personne en situation de handicap. Dans les territoires, je sens cette volonté de faire bouger les choses. Je le redis, les collectivités sont un levier absolument essentiel puisque ce sont elles qui définissent les politiques publiques au niveau local. Nous sommes là pour les accompagner. Souvent, c’est simplement parce qu’il existe une méconnaissance du sujet et de la manière d’agir que les dynamiques ne sont pas impulsées.

“ C’est un enjeu important pour nous. Celui de transformer le regard et de faire évoluer la sémantique autour du handicap. ”

Que faut-il faire justement ?

Il faut «aller vers…», aller vers la personne en situation de handicap qui n’a pas encore le réflexe de venir pratiquer un sport. J’espère que ces Jeux et toute la médiatisation autour d’eux vont provoquer des déclics.

Transports, logement…: au-delà de la seule pratique sportive, ces Jeux posent la question de l’accessibilité au sens large.

Bien sûr. Nous souhaitons aussi que ces Jeux laissent un héritage pour le quotidien des personnes en situation de handicap. Force est de constater que sur l’accessibilité, la prise de conscience a été un peu plus tardive. Néanmoins, cela a permis qu’un plaidoyer soit entendu, compris et partagé par un grand nombre de Français. Ce n’était pas le cas auparavant. Je ne pensais pas que ce sentiment d’injustice dû au manque d’accessibilité était partagé par autant de personnes. Même si nous pouvons encore améliorer les parcours d’accessibilité et les dispositifs existants dans les semaines à venir, ce serait totalement irréaliste de dire qu’on va tout changer d’ici à l’ouverture de la cérémonie. C’est un agenda ambitieux et durable qu’il faut mettre en place pour rendre accessibles nos transports publics et nos bâtiments.

Encore une fois, quand vous favorisez le cheminement des personnes en situation de handicap dans le métro ou entre deux gares, vous facilitez le cheminement de l’ensemble des usagers. C’est le bien-être quotidien de la communauté qui est impacté positivement.

La sensibilisation est également un sujet essentiel ?

Oui. À tous les niveaux mais, là aussi, des progrès notables ont été accomplis. Regardez la médiatisation et la diffusion des parasports aujourd’hui. Il faut poursuivre dans cette direction, en apprenant aux médias à parler du parasport. C’est aussi le rôle du Comité paralympique et sportif français. Il faudrait que la situation de handicap ne soit pas le point d’entrée mais que l’on parle des performances et de l’engagement des sportifs. C’est un enjeu important pour nous. Celui de transformer le regard et de faire évoluer la sémantique autour du handicap. Et faire en sorte que les Français voient simplement des athlètes, et que leur handicap ne soit vu que de façon secondaire. Ce qui est vrai dans le sport l’est dans la vie quotidienne ou dans le monde du travail. Sensibiliser, c’est aussi parfois simplement parler, c’est mettre des mots sur ce que l’on ressent, sur ses inquiétudes et lever les incompréhensions que j’évoquais plus tôt. Je suis convaincue que si on arrive à libérer la parole sur le handicap, on va simplifier et fluidifier énormément de choses. Parce que la pire des situations, c’est celle que l’on tait, c’est celle où on ne caractérise pas les faits.

Adaptation des postes, conditions et organisations de travail… Dans les entreprises, les représentants du personnel peuvent aider à favoriser l’inclusion ?

Les syndicats ont un rôle important à jouer en la matière. Il y a encore beaucoup à faire dans les entreprises. Beaucoup de salariés en activité n’ont pas, ou peu, grandi avec des personnes en situation de handicap. Il a longtemps existé un cloisonnement fort. Les personnes en situation de handicap étaient de fait exclues de la plupart des activités sociales ou économiques. Ces Jeux doivent aussi contribuer à faire changer le regard des employeurs pour qu’ils se concentrent sur les compétences, l’habileté ou encore la capacité d’adaptation.

Vous avez gagné votre première médaille mondiale en 2010. En quinze ans de pratique de haut niveau, avez-vous pu observer une évolution des mentalités ?

Oui, nous progressons, mais il reste beaucoup à faire. Nous partons de tellement loin, avec un tel retard à combler qu’il ne faut surtout pas faire retomber les énergies une fois les Jeux passés. Nous avons posé les bases d’un nouveau modèle, de nouvelles coopérations entre les institutions aux échelles locale et nationale. Des réseaux se sont créés autour du handicap et du fait sportif. Nous avons mis en lumière les difficultés. Maintenant que le constat est établi, il est temps d’engager des changements durables.