La conférence sous tension de l’Organisation internationale du travail

temps de lectureTemps de lecture 5 min

iconeExtrait de l’hebdo n°3879

Close sur l’adoption de plusieurs résolutions, la 111e Conférence internationale du travail a vu émerger plusieurs désaccords qui risquent de se répéter à l’avenir.

Par Anne-Sophie Balle— Publié le 22/06/2023 à 12h00

Le Togolais Gilbert F. Houngbo est le 11e directeur général de l’OIT.
Le Togolais Gilbert F. Houngbo est le 11e directeur général de l’OIT.© Crozet-Pouteau-Albouy/ILO-OIT

Des « négociations habiles », une « diplomatie prudente »… : les mots choisis par le directeur général de l’OIT, Gilbert F. Houngbo, lors de la cérémonie de clôture de la Conférence internationale du travail étaient pesés. Réunissant chaque année les représentants des gouvernements et des organisations de travailleurs et d’employeurs des 187 États membres de l’OIT, la Conférence internationale du travail (aussi appelée Parlement international du travail) s’est conclue après deux semaines de travaux par l’adoption d’une nouvelle recommandation sur les apprentissages de qualité et l’adoption d’une résolution relative à une transition juste. Deux thèmes chers à la CFDT, titulaire de la délégation des travailleurs français cette année. « Nous ne pouvons nous résoudre à subir. Il faut agir avant d’être obligés de réagir », rappelait alors, le 13 juin dernier, Laurent Berger dans son discours en séance plénière.

Laurent Berger s’est adressé aux membres de la Conférence internationale du travail à Genève le 13 juin dernier.
Laurent Berger s’est adressé aux membres de la Conférence internationale du travail à Genève le 13 juin dernier.© Syndheb

Pourtant, cette 111e session aura connu quelques soubresauts politiques. À commencer par la présidence de la Conférence, assurée cette année par le ministre du Travail du Qatar, pays régulièrement pointé du doigt pour ses manquements en matière de droits fondamentaux – le ministre du Travail étant par ailleurs directement cité dans l’affaire du Qatargate.

Le budget menacé

1. La formule faisait référence à « d’autres groupes de population touchés par la discrimination et l’exclusion, notamment pour des motifs de race, d’orientation sexuelle et d’identité de genre ».

En fin de première semaine, c’est un autre incident qui a émaillé les débats, empêchant pour la première fois l’adoption du programme du travail et du budget (2024-2025) de l’Organisation. Alors qu’au même moment plusieurs pays célèbrent le mois des fiertés, une phrase autour des droits LGBTQI+ a mis le feu aux poudres1. Ces derniers mois, plusieurs pays africains et du Golfe semblent en effet agir de concert en vue de supprimer toute référence à l’orientation sexuelle et l’identité de genre dans les programmes d’action et les budgets des agences onusiennes : en mai, l’Assemblée mondiale de la santé (organe décisionnel de l’OMS) a connu un scénario similaire lors de l’adoption de la stratégie de l’Organisation mondiale de la santé dans la lutte contre les maladies sexuellement transmissibles. À l’OIT, il aura fallu plusieurs jours de négociations (parfois très tendues) pour qu’un compromis soit finalement trouvé et que soit adopté le budget (il atteint 885 millions d’euros sur deux ans). « Le problème pourrait cependant rapidement revenir sur la table », s’inquiète la CFDT, qui note dans cette tentative « une manière de remettre en cause les droits fondamentaux. Aujourd’hui, avec les droits LGBTQI+, demain avec les droits des femmes… ».

Une résolution sur le Bélarus

À propos de l'auteur

Anne-Sophie Balle
Rédactrice en chef adjointe de Syndicalisme Hebdo

Parallèlement à l’approbation du rapport de la Commission de l’application des normes (lire l’encadré), cette 111e Conférence aura vu l’adoption d’une résolution sur le Bélarus. Celle-ci vise à assurer la conformité du gouvernement biélorusse avec les recommandations d’une commission d’enquête de l’OIT concernant le respect de la liberté syndicale (convention no 87) et le droit d’organisation et de négociation collective (convention no 98).

Commission de l’application des normes, quèsaco ?

Élément structurant de la Conférence, la commission d’application des normes est l’organe de contrôle du respect des conventions de l’OIT ratifiées par les État membres. Chaque année, elle étudie une vingtaine de cas individuels de pays soupçonnés de ne pas respecter les normes de l’OIT. Vingt-quatre cas étaient examinés cette année, dont certains reviennent fréquemment pour des cas graves de violation des droits : Cambodge, Afghanistan, Myanmar…

La commission donne aux représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs l’occasion d’ouvrir un débat tripartite sur la mise en œuvre des conventions ratifiées, d’attirer l’attention sur les difficultés et, le cas échéant, d’obtenir l’assistance du Bureau international du travail pour les surmonter. À l’issue de l’étude des différents cas, porte-parole des groupes employeurs et travailleurs tentent de parvenir à des conclusions consensuelles qui seront transmises aux États. Charge à eux d’en tenir compte. Organisme tripartite, l’OIT n’a cependant aucun pouvoir de sanction : au pire, un système de gradation dans les rapports de conclusion permet de diligenter une commission d’enquête.