L’humour réformiste

iconeExtrait du magazine n°497

Dans son nouveau spectacle, « Le Monde d’après », Sophia Aram s’empare de l’actualité avec cette patte bien connue des auditeurs de France Inter. Drôle et engagée, l’humoriste cible les populistes, complotistes et autres « timbrés », tout en faisant l’éloge du dialogue et de la nuance.

Par Guillaume Lefèvre— Publié le 27/10/2023 à 09h00 et mis à jour le 03/11/2023 à 10h42

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Pouvez-vous nous parler de votre spectacle ?

Ce spectacle parle de mon désespoir face à la montée des populismes, de l’extrême droite, de ce qu’est devenue la gauche, ou en tout cas une partie de celle-ci. Je parle des antivax, des admirateurs de Poutine, plus généralement de tous les timbrés qui nous fatiguent et qui occupent pas mal d’espace. Je parle de l’espace médiatique, bien sûr, mais aussi de l’espace dans nos cerveaux. Nos têtes deviennent des poubelles dans lesquelles s’insèrent pas mal de trucs dégueulasses. Nos esprits sont encombrés et parasités en permanence.

“Mon mari et moi entendions une petite musique qui montait. Elle disait que j’étais devenue une « humoriste de droite ». Quand je suis arrivée sur la matinale de France Inter (en 2010), j’étais une « humoriste de gauche. »”

Pourquoi abordez-vous ces thématiques ?

J’ai toujours choisi de parler des sujets qui me tenaient le plus à cœur. Ils se sont presque imposés à nous. Je dis « nous » parce que j’écris mes textes avec mon mari. Nous entendions une petite musique qui montait. Elle disait que j’étais devenue une « humoriste de droite ».

Ça m’a interrogée. Quand je suis arrivée sur la matinale de France Inter (en 2010), j’étais une « humoriste de gauche ». 

La droite ne s’y trompait pas, d’ailleurs, ils étaient vent debout contre moi. Il faut dire que, quand j’ai commencé, Nicolas Sarkozy était président de la République, je ne manquais pas de matière. D’une manière générale, j’ai toujours été critique envers ce qui, selon moi, était critiquable. Aujourd’hui, je trouve que face aux enjeux de l’époque, une grande partie de la gauche n’est pas à la hauteur. Je le dis suffisamment quand c’est la droite qui se vautre, pour me sentir libre de le dire quand c’est le tour de la gauche. On dirait qu’ils sont endoctrinés. On a l’impression que ce n’est plus possible de dire ce que l’on pense. Si je critique la gauche, on me dit que je suis macroniste ; quand je parle d’universalisme et de laïcité, on me dit que je suis d’extrême droite.

Comment expliquez-vous ce « glissement » ?

Je n’ai pas l’impression d’avoir changé. Sincèrement. Je vieillis, peut-être, mais mes positions politiques et mes engagements n’ont pas varié. Pour moi, il y a des sujets non négociables : la laïcité et l’universalisme. C’est mon socle. Évidemment, il y a un avant et un après Charlie. C’étaient mes amis. Quand ils ont été assassinés et que je continuais à entendre des « oui, mais… », ça m’a rendu plus nerveuse. Je devenais moins tolérante envers ceux qui cherchaient des justifications et des excuses. Je me bats contre ceux qui font du misérabilisme et de la victimisation un programme. C’est d’ailleurs ce qui, à mon sens, gangrène la gauche.

Pouvez-vous développer ?

Les exemples sont plutôt nombreux. Dans une période de pandémie, quand la vaccination est une question de survie et qu’on tient des discours d’une irresponsabilité crasse, disant que seul le vaccin russe est efficace ; lorsque l’on se déplace en Martinique pour dire que ce que fait la France avec le vaccin, c’est ce qu’elle a fait avec le chlordécone [pesticide utilisé jusqu’en 1993 dans les bananeraies], lorsqu’on refuse de voter l’aide à l’Ukraine en période de guerre ou encore lorsqu’on affirme que Poutine va régler le « problème » syrien… Alors oui, des griefs envers ces gens-là, j’en ai quelques-uns. On me reproche d’être remontée contre cette gauche-là, mais c’est parce que je le suis. J’ai des raisons et je l’assume.

Et vous avez fait du combat contre l’extrême droite un étendard.

Bien sûr. Je suis inquiète et un peu atterrée par l’atmosphère ambiante. Je n’arrive pas à me résoudre que l’hypothèse d’un second tour, voire d’une victoire de Marine Le Pen, soit envisagée d’une manière presque sereine. Comment a-t-on décrété un jour que le vote d’extrême droite n’était qu’un vote contestataire ? L’extrême droite n’est pas fréquentable. Point. Même cachée derrière des petits chatons, l’extrême droite reste l’extrême droite.

Évidemment qu’il y a des gens qui souffrent, mais à quel moment on accepte que la seule réponse, ce soit le vote d’extrême droite ?

“On ne résout rien en agitant les peurs, en attisant les braises ou en promettant le grand soir. Quand quelqu’un fait l’éloge de la nuance, c’est moins sexy que quelqu’un qui propose le feu, les larmes, le sang, mais c’est comme ça que nous avancerons.”

J’ai toujours considéré que les électeurs étaient responsables du bulletin qu’ils déposaient dans l’urne. Il faut arrêter avec le discours qui consiste à dire « oui, mais tu comprends, ils ont leurs raisons… ». Il faut en finir avec cette excuse permanente qui – encore une fois – n’est rien d’autre que du misérabilisme. Quand je vois qu’une proposition de loi [déposée par Les Républicains] veut obliger les bénéficiaires du RSA à faire les vendanges pour limiter le recours aux travailleurs des pays de l’Est, et que ça ne soulève pas plus d’indignation que ça, c’est très inquiétant.

Vous êtes intervenue au Zénith, le 21 juin dernier, lors de la passation entre Laurent Berger et Marylise Léon. Pourquoi avoir accepté cette invitation de la CFDT ?

J’ai accepté d’assumer. J’ai accepté d’assumer cet attrait pour ce discours nuancé, sans démagogie. On ne résout rien en agitant les peurs, en attisant les braises ou en promettant le grand soir. Quand quelqu’un fait l’éloge de la nuance, c’est moins sexy que quelqu’un qui propose le feu, les larmes, le sang, mais c’est comme ça que nous avancerons. Il y a des tas de raisons d’être en colère, il faut les entendre, mais il ne faut surtout pas apporter les mauvaises réponses. Évidemment, il y a des timbrés, évidemment, il y a des cons.

Ils seront là. Ils seront toujours là. Je pense que la majorité silencieuse et raisonnable existe. La pondération, aujourd’hui, est de plus en plus reconnue comme une valeur et pas comme un signe de faiblesse. C’est plutôt rassurant dans la période – avec la réforme des retraites, calamiteuse et mal fagotée – que ce soit la méthode CFDT qui l’ait emportée et que ça se traduise d’ailleurs dans vos adhésions. Je me suis pris un « shoot » d’espoir ce jour-là. Ça fait du bien de voir que ce type de discours est partagé. Il y a des gens nuancés, de tous bords, avec qui on peut discuter, avec qui on peut débattre et avec qui on peut se retrouver sur un socle essentiel : la République. C’est peut-être un discours de vieille « daronne » mais je suis convaincue que nous sommes nombreux, y compris dans la jeunesse, à ne pas rêver de révolution permanente.

C’est ce message que vous voulez faire passer dans vos billets d’humeur sur France Inter et dans votre spectacle ?

Je ne prétends pas parler au nom de tout le monde, mais c’est ce que je ressens. Les gens ont envie de nuances. Ils veulent des débats sereins. Pas d’un combat de catch autour d’une table où on s’envoie des verres de vin au visage. On a envie d’un tout petit peu de hauteur, sans démagogie. C’est plus compliqué d’être nuancé que d’être démagogue, mais il ne faut surtout pas laisser le champ à ceux qui gueulent le plus fort. Je ne laisserai personne distribuer des diplômes de gauche ou de droite. La gauche n’appartient à personne. C’est trop facile d’être dans la posture. Les syndicalistes, adhérents et militants de la CFDT font beaucoup plus que tout ceux qui hurlent à l’extrême droite dès qu’on parle de social-démocratie.

À l’antenne ou dans vos spectacles, vous évoquez régulièrement votre attachement à la République et à ses valeurs. Pourquoi est-ce important pour vous ?

À propos de l'auteur

Guillaume Lefèvre
Journaliste

J’ai grandi dans les Yvelines, à Trappes. Quand mon père est arrivé en France, il ne parlait pas le français. Dans son village, au fin fond du Maroc, il n’y avait pas d’eau, pas d’électricité. Il a fait un saut énorme pour qu’on puisse faire des études, bâtir des carrières diverses. Je sais d’où je viens socialement. J’ai bossé, bien sûr, mais je dois beaucoup à l’école de la République. À notre système de santé, pour lequel il faut se battre. Et aussi parce que nous avions les clubs de sport, la médiathèque, les associations, les ateliers de théâtre… C’est tout ça qui m’a permis de grandir dans ce pays qui est le mien. J’en ai assez qu’on parle d’immigrés de première, deuxième ou troisième génération. Je suis profondément française, profondément républicaine et très fière d’avoir deux langues et de posséder une double culture. C’est une richesse.