“On ne peut pas dégrader le dialogue social au nom de la simplification !”

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iconeExtrait de l’hebdo n°3914

S’il était retenu, le rapport parlementaire “Rendre des heures aux Français” dégraderait très fortement le dialogue social d’entreprise et, par ricochet, les droits des salariés. La CFDT s’oppose vivement à ce texte tout en rappelant qu’à ce stade, il ne s’agit que d’un rapport… Entretien avec Fabien Guimbretière, secrétaire national chargé du dialogue social et des IRP.

Par Sabine Izard et Anne-Sophie Balle— Publié le 02/04/2024 à 12h00

Fabien Guimbretière est secrétaire national de la CFDT.
Fabien Guimbretière est secrétaire national de la CFDT.© Joseph Melin

Comment la CFDT a-t-elle accueilli le rapport parlementaire “Rendre des heures aux Français” ?

On a été assez surpris. D’abord sur la forme, puisque c’est un rapport qui a été élaboré par cinq parlementaires de la majorité et remis au ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, alors qu’il contient de nombreuses mesures relatives à la protection des salariés et au code du travail, qui relèvent du ministère du Travail. En outre, seules les chambres patronales ont été auditionnées, ce qui est inadmissible lorsque l’on traite de la protection des salariés et des dispositions du code du travail. Enfin, arrêtons-nous un tant soit peu sur le titre : en quoi les dispositions du rapport sont de nature à rendre du temps aux Français ? Et de quels Français parle-t-on ? Des citoyens, des salariés, des chefs d’entreprise ? Tout cela pose question…

Selon une récente note Syndex, si une loi venait à reprendre les mesures préconisées dans le rapport, elle représenterait une remise en cause inédite des prérogatives des IRP. Partages-tu cette analyse ?

Il ne s’agit, à ce stade, que d’un rapport parlementaire. On ne sait pas si le gouvernement souhaite, ou non, le reprendre. Mais, tout de même, on ne peut pas dégrader le dialogue social au nom de la simplification ! On sait qu’un dialogue social dégradé c’est, par ricochet, moins de droits et de protections pour les salariés… D’ailleurs, le rapport illustre cette volonté gouvernementale puisqu’il propose, par exemple, de faire passer les niveaux des trois principaux seuils sociaux de 11, 50 et 250 salariés à 50, 250 et 1 000 salariés. Cela reviendrait à supprimer l’obligation d’emploi de 6 % de travailleurs handicapés au sein des entreprises de 11 à 49 salariés. Les salariés concernés auraient donc moins d’opportunités d’accès à l’emploi.

1. Activités sociales et culturelles.

De la même manière, la suppression du règlement intérieur dans les entreprises comprenant de 50 à 249 salariés conduirait à amoindrir leurs droits en matière de santé, de sécurité, de défense. Et que dire de la perte de pouvoir d’achat du fait de la suppression possible des ASC1 dans les entreprises de moins de 250 salariés… ?

Enfin, une telle modification des seuils ferait perdre sa personnalité juridique au CSE dans les entreprises de moins de 250 salariés – et marquerait alors la fin des attributions économiques de l’instance, du recours possible à l’expertise, de la formation syndicale, des consultations récurrentes et ponctuelles, notamment sur les sujets impactant les conditions de travail.

Une des recommandations du rapport vise à supprimer l’obligation de mise en place d’une BDESE dans les entreprises de moins de 250 salariés…

En effet. Selon les auteurs du rapport, la base de données économiques, sociales et environnementales est un irritant pour les PME et serait inutile car doublonnerait avec d’autres obligations en matière de reporting extra-financier. La CFDT considère au contraire qu’un tel outil se révèle essentiel à la négociation d’entreprise. L’information nourrit la réflexion, qui alimente l’action. L’important, c’est donc la qualité de l’information transmise. Le 6e baromètre Syndex-Ifop de janvier 2024 rappelle d’ailleurs que 68 % des dirigeants d’entreprise considèrent que la transmission et la qualité de l’information de la BDESE contribue à un bon dialogue social.

La BDESE constitue le support de toutes les consultations récurrentes. Sa suppression impliquerait soit une disparition de ces consultations – dans ce cas, il ne resterait plus que des consultations ponctuelles (en cas de licenciement collectif, par exemple) –, soit la réapparition de supports multiples et épars tels qu’ils existaient auparavant… et l’obligation pour les employeurs de transmettre les infos aux administrations concernées, ce qui n’allégera pas le travail administratif des directions.

Quid de la dérogation aux accords de branche ?

Le rapport « Rendre des heures aux Français » propose de permettre aux entreprises de moins de cinq ans et comptant moins de 50 salariés de définir avec ceux-ci l’application de certaines dispositions des accords de branche. C’est, là encore, un danger pour les droits des salariés. Le risque est grand, notamment, de laisser seul le salarié d’une petite entreprise face à son employeur dans un rapport de force déséquilibré qui ne lui permettrait pas de garantir l’effectivité de ses droits. Ce serait aussi la porte ouverte au moins-disant social.

En matière salariale, le rapport propose que l’employeur n’applique pas les évolutions salariales (minima conventionnels) et les revalorisations des classifications de branche. Une telle disposition risque de paupériser encore plus les travailleurs, ce qui est en totale contradiction avec le discours de politique générale de Gabriel Attal, qui prétend vouloir « désmicardiser » la France.

Un mot enfin sur la proposition consistant à réduire les délais de contestation des licenciements devant le conseil de prud’hommes. Contrairement à ce qu’affirme le rapport, ça ne va pas dans le sens de la sécurisation des emplois ni de la protection des salariés. Les salariés qui subissent un licenciement ont d’urgents problèmes à régler avant de songer à saisir la justice : ils doivent rechercher un nouvel emploi et parfois faire face à de nouvelles difficultés financières. Réduire le délai de contestation du licenciement en le faisant passer d’un an à six mois pourrait donc conduire certains salariés à renoncer à leurs droits.

Que sait-on de la réforme du code du travail acte II ?

À ce stade, organisations syndicales et patronales ne disposent pas d’informations sur le calendrier (ni même le contenu précis) de « l’acte II de la réforme du marché du travail lancée en 2017 » tel qu’annoncé par le chef de l’État en janvier dernier. « Tout est renvoyé à l’automne, après les JO », résumait récemment Marylise Léon, qui s’attend à un autonome parlementaire « particulièrement chargé ». La secrétaire générale de la CFDT s’agace de « la vision très dix-neuvième siècle dont fait preuve le gouvernement en matière de dialogue social ». Le rapport « Rendre des heures aux Français » – qui pourrait servir de base à cet « acte II » de la réforme du code du travail – n’est en effet pas du goût des organisations syndicales, qui réaffirment n’avoir été ni consultées ni concertées.

En outre, celles-ci sont particulièrement inquiètes à cause de la durée du délai de prescription – le délai dont dispose un salarié pour contester son licenciement –, dans le viseur du gouvernement. Ledit délai est en effet passé de cinq ans en 2008 à deux ans en 2013 puis à douze mois en 2017. Aujourd’hui, le rapport suggère de ramener ce délai à six mois. Un élément qui s’ajoute au barème Macron, instauré par les ordonnances de 2017, et à la complexification de la procédure de saisine de 2016. Côté patronal, alors que la simplification à tous les étages est ardemment soutenue par la CPME, d’autres organisations se font plus prudentes, le Medef disant « attendre beaucoup du rapport Bozio-Wasmer* sur l’articulation entre salaires et aides socio-fiscales ». Verdict, sans doute, après l’été.

* Antoine Bozio, directeur de l’Institut des politiques publiques, et Étienne Wasmer, professeur de New York University Abu Dhabi, sont deux économistes missionnés par Élisabeth Borne à la fin de l’année 2023.

Anne-Sophie Balle