“Pacte de la vie au travail” : front syndical uni contre le CDI senior

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iconeExtrait de l’hebdo n°3908

Lors d’une nouvelle séance de négociation sur l’emploi des seniors, le Medef a présenté une proposition de “CDI senior”, rejoignant la CPME sur ce point. Pour les organisations syndicales, c’est niet !

Par Fabrice Dedieu— Publié le 20/02/2024 à 13h00

Olivier Guivarch (au centre, assis), secrétaire national, et Yvan Ricordeau (à droite), secrétaire général adjoint de la CFDT.
Olivier Guivarch (au centre, assis), secrétaire national, et Yvan Ricordeau (à droite), secrétaire général adjoint de la CFDT.© Syndheb

Deux semaines après une première séance consacrée à ce sujet, les partenaires sociaux ont de nouveau évoqué l’emploi des seniors, le 15 février, dans le cadre de la négociation « Pacte de la vie au travail ». Une séance durant laquelle les propositions des uns et des autres se sont éloignées des déclarations d’intention pour laisser filtrer des revendications plus précises.

La CFDT a proposé que les seniors deviennent un sujet de dialogue social à part entière dans les entreprises et les branches. « Ce dialogue social doit reposer sur une négociation qui traite le sujet de l’emploi des seniors, du maintien dans l’emploi, de la place des seniors dans l’entreprise, l’anticipation de la seconde partie de carrière, etc. », a expliqué à la presse Olivier Guivarch, négociateur CFDT. « Le patronat nous répond que ça peut être un sujet qui s’ajoute à des négociations qui existent déjà. Cette réponse ne nous satisfait pas : si l’on veut vraiment “changer de paradigme”, pour reprendre les termes d’une organisation patronale, il faut que le sujet soit central […] et traité indépendamment des autres sujets. » La CFDT n’a pas obtenu de réponses de la part des organisations patronales quant à l’obligation de négocier ce thème dans les entreprises de moins de 300 salariés.

Un rendez-vous de mi-carrière

Autre proposition de la CFDT, le rendez-vous « perspectives professionnelles ». Un entretien « à mi-carrière, à mi-parcours professionnel », pour avoir « les deux versants de la situation du salarié, à savoir un bilan de compétences, un bilan des formations, où il en est sur sa santé, c’est multidimensionnel, et les perspectives d’évolution, les aspirations plus générales », a détaillé Olivier Guivarch. Et de préciser : « Il faudrait plusieurs entretiens, qui peuvent se faire à l’extérieur de l’entreprise, quand ce n’est pas possible. Il faudra continuer d’avancer sur le sujet. » La CFDT souhaite que cet ou ces entretiens soient généralisés, « pour ne pas stigmatiser » : « Si on réserve ce type d’entretien à des salariés vulnérables, on les rend encore plus vulnérables, on les inquiète, ça n’a pas de sens. »

Les négociateurs CFDT ont aussi mis sur la table la possibilité de créer un statut de tuteur et d’aménager le temps de travail du senior concerné afin qu’il y ait transmission, l’aménagement de poste jusqu’à la retraite. Sur la question de la retraite progressive, « si on veut un impact, il faut un peu plus faciliter ce type de dispositif et ne pas le restreindre dans le temps et la durée. Jusqu’à la réforme des retraites, il était possible d’ouvrir ce droit deux ans avant l’âge légal, donc 60 ans. On souhaite que ça reste à 60 ans, et que ça ne se décale pas automatique à 62 ans, sous l’effet de la réforme », a précisé Olivier Guivarch.

Le “CDI senior”, un chiffon rouge

Durant les discussions, la proposition de la CPME de CDI senior est revenue sur la table, soutenue par le Medef. Selon Éric Chevée, de la CPME, ce dispositif est lié à une diminution du coût du travail « avec une baisse des charges Unédic », financée par la suppression à terme de la « filière seniors » de l’assurance chômage. Le Medef, lui, voit plus ce contrat (qui remplacerait le CDD senior actuel) comme un moyen d’avoir plus de visibilité quant à la date de départ en retraite du salarié. Ce contrat serait disponible à partir du moment où le salarié atteint l’âge de 60 ans. « L’objectif n’est pas de basculer les salariés vers ce type de dispositif, réservé à ceux qui sont sortis du marché du travail », explique Hubert Mongon, négociateur Medef, qui envisage « un délai de carence de six mois entre le licenciement et le CDI senior » afin de se prémunir, entre autres, d’un effet d’aubaine.

À la signature du contrat, le salarié fournirait les informations sur la date prévisionnelle de départ à la retraite à taux plein. Toujours selon le Medef, ce CDI senior pourrait se cumuler avec l’allocation chômage si le salaire est inférieur à celui que percevait le salarié dans son ancien emploi. Ce CDI senior irait de pair avec la suppression de la contribution spécifique des employeurs de 30 % sur les indemnités de mise à la retraite, pour inciter les entreprises à garder leurs salariés le plus longtemps possible.

Cette proposition de contrat de travail fait l’unanimité syndicale contre elle. « Nous avons un problème de fond, a indiqué Olivier Guivarch. Durant la phase de diagnostic, les experts nous ont expliqué que le problème, c’est le maintien dans l’emploi, le travail. Et là, le patronat nous parle de seniors au chômage. » Le négociateur CFE-CGC, Jean-François Foucard, préfère un bonus destiné aux entreprises qui ont conduit les salariés jusqu’à la retraite plutôt qu’un CDI senior, « qui demande un complément de salaire payé par l’Unédic, ce qui provoque une concurrence déloyale avec une personne en situation “classique” ».

« Ce n’est pas dans notre ADN de vouloir un CDI senior. Ce nouveau contrat ne nous va pas », a fait savoir Nathalie Bazire, de la CGT. La CFTC a été aussi catégorique : « Je ne vois pas en quoi ça sécurise l’emploi. L’entreprise pourra réembaucher un senior à moins cher, et c’est l’assurance chômage qui paiera », affirme Éric Courpotin. Même son de cloche chez FO : « Le CDI senior, autant vous dire que l’on n’est pas fan. On préférerait que les seniors ne sortent pas du tout de l’emploi », a déclaré Michel Beaugas.

Étendre la retraite progressive

En dehors du CDI senior, le Medef est entré dans le détail de ses propositions. Sur les préjugés et la discrimination que vivent les seniors, l’organisation patronale majoritaire propose d’en faire « une cause nationale » avec « un plan de communication pour lutter contre les idées reçues, pour redonner espoir aux salariés en fin de carrière », avance Hubert Mongon. Passer le salarié en temps partiel en fin de carrière et faire des seniors un thème de négociation collective font partie des pistes du Medef. Le patronat est ouvert à l’idée d’un entretien de mi-carrière. Enfin, au sujet de la retraite progressive, le Medef souhaite, à l’instar de la CFDT, que l’ouverture du dispositif puisse se faire plus de deux ans avant le taux plein, sans préciser néanmoins si ce sera trois ou quatre ans avant le taux plein. « Nous sommes en train d’étudier le chiffrage » avant de faire une proposition plus précise, a indiqué Hubert Mongon, « car ce n’est pas anodin ». Concernant le cumul emploi-retraite, le Medef souhaite supprimer le délai de carence de six mois en cas de reprise d’emploi chez le même employeur.

À propos de l'auteur

Fabrice Dedieu
Journaliste

Les organisations syndicales et patronales avaient prévu d’évoquer l’emploi des seniors une nouvelle fois lors de la séance du 23 février. Finalement, face à l’avancée des travaux, il a été décidé que cette séance-là sera consacrée aux parcours et aux transitions professionnelles. L’emploi des seniors reviendra donc dans les discussions le 1er mars prochain.

Le thème de l’usure professionnelle entre dans la négociation

Pour la première fois depuis l’ouverture de la négociation « Pacte de la vie au travail », la question de l’usure professionnelle a été mise sur la table, le 16 février. Cette thématique recoupe celle de l’emploi des seniors et des transitions/reconversions professionnelles. « Pour nous, ça a été l’occasion de parler du travail, de manière globale, avec un spectre qui va de la santé aux questions d’organisation du travail, de pratiques managériales participatives, a indiqué Isabelle Mercier, secrétaire nationale et négociatrice CFDT. Telle que nous l’envisageons, la question de l’emploi des seniors trouve son origine dès l’entrée dans la vie active car l’usure ou la pénibilité, les risques physiques, les accidents du travail, mais aussi l’usure psychosociale, c’est dès le début de la carrière que ça intervient. La partie patronale ne partage pas franchement cette position… »