Des Jeux si proches, et pourtant si loin

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L’emploi en jeux

Un emploi pour les JO 2024 ? La perspective ne suscite pas forcément l’enthousiasme des jeunes rencontrés à la mission locale d’Aubervilliers, à quelques encablures du Stade de France.

Par Emmanuelle Pirat— Publié le 01/03/2024 à 10h00

Emmanuelle Darrouzet Bentaj, responsable de site  la mission locale d'Aubervilliers.
Emmanuelle Darrouzet Bentaj, responsable de site la mission locale d'Aubervilliers.© Cyril Entzmann

« Est-ce que cela vous intéresserait, un job ou un emploi en lien avec les JO ? » Un silence. Pour Souleymane, Karamouko et Sékou, rencontrés à la mission locale d’Aubervilliers, ville populaire de -Seine-Saint-Denis jouxtant la capitale, la question semble incongrue. « Les JO ? C’est pas pour nous, madame. On n’est pas des athlètes », rigole Souleymane, 19 ans, titulaire d’un bac pro en maintenance. « Non, bien sûr, mais il y a des possibilités d’emploi avec les Jeux », intervient Emmanuelle Darrouzet-Bentaj, la responsable. « C’est quand déjà ? C’est du foot ? », interroge Sékou, 20 ans, visiblement peu au fait de l’évènement mondial qui va se dérouler près de chez lui à partir du 26 juillet.

Cette conversation avec quelques jeunes suivis en contrat d’engagement jeune (CEJ) par la mission locale (l’une des douze que compte le département) semble résumer l’état d’esprit d’une partie de la jeunesse défavorisée de Seine-Saint-Denis : pas concernée et pas spécialement motivée par les perspectives d’emploi que pourraient offrir les Jeux. On est loin de la mobilisation générale.

“Je ne vais pas faire une formation pour un boulot qui dure deux mois ”

Karamouko, 18 ans, suivi à la mission locale.

À la mission locale d’Aubervilliers, l’une des communes les plus déshéritées du département, plus de 50 % des jeunes accompagnés n’ont pas le niveau bac, 40 % sont titulaires d’un bac (général, professionnel ou technologique) et moins de 10 % ont commencé des études supérieures. À ce bas niveau de qualification s’ajoutent souvent d’autres difficultés, personnelles et sociales : jeunes en rupture avec leur famille, vivant parfois à la rue, primo-arrivants, mineurs isolés, etc. Pour beaucoup, l’urgence est de trouver un emploi et de gagner rapidement de l’argent. « On constate encore un effet Covid qui perdure, avec, dans certaines familles, des membres qui n’ont pas retrouvé de travail. Cela fait porter sur les jeunes une responsabilité plus forte pour soutenir le foyer », note Emmanuelle Darrouzet-Bentaj.

« Alors quand on leur propose de partir en formation pendant six mois, pour certains, c’est une perte de temps », ajoute Kamel Ouacel, le directeur adjoint de la mission locale. « Je ne vais pas faire une formation pour un boulot qui dure deux mois », abonde Karamouko, 18 ans, malgré l’explication d’Emmanuelle, qui tente de lui faire comprendre que cette expérience peut servir de tremplin. « Mais ils ont un rapport au temps différent : il faut que les choses arrivent tout de suite », indique la responsable.

Kamel Ouacel est le directeur adjoint de la mission locale d’Aubervilliers.
Kamel Ouacel est le directeur adjoint de la mission locale d’Aubervilliers.© Cyril Entzmann

Un “effet JO” difficile à quantifier

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Emmanuelle Pirat
Journaliste

Pour autant, ces JO ne sont pas sans effet. Dans les secteurs du bâtiment et de la construction, « le recrutement est devenu exponentiel dès 2018. Des jeunes ont pu bénéficier des clauses d’insertion signées pour les chantiers », indique Emmanuelle. Dans les autres secteurs, « “l’effet JO” existe aussi, même s’il est beaucoup plus difficile à quantifier ». Des perspectives s’ouvrent à la RATP, qui a lancé de grandes campagnes de recrutement pour trouver des centaines de conducteurs ou d’agents de station ; ou, bien sûr, dans les métiers de la sécurité, un secteur en très forte tension. Mais, là encore, l’enthousiasme n’est pas au rendez-vous.

« Pour eux, être agent de sécurité renvoie à l’image du vigile devant l’entrée du supermarché. Ça n’est pas très motivant », indique Johanna Poulin, conseillère en insertion professionnelle mais aussi référente Prij (Plan régional d’insertion pour la jeunesse). Autre problème : malgré l’assouplissement des critères pour travailler dans la sécurité des JO, « 50 % des jeunes que l’on accompagne dans le cadre du Prij ne sont pas éligibles pour intégrer la formation. Parce qu’ils ont précédemment fait l’objet d’une condamnation ou n’ont pas vécu le temps requis sur le territoire national, par exemple », précise la conseillère. Dans les mois à venir, les métiers de la restauration et de l’accueil vont chercher des bras. Mais Souleymane a d’autres rêves en tête : « J’aimerais être acteur. » Charmeur et gouailleur, il en a visiblement le talent.