Mines de lithium : la France entre dans la course

iconeExtrait du magazine n°501

Indispensable à la fabrication des batteries, le lithium est devenu une ressource stratégique qui aiguise les appétits. En France, plusieurs mines devraient voir le jour pour extraire ce métal rare. Autant de projets qui pourraient créer de la richesse et des emplois mais qui soulèvent des questions complexes en matière d’environnement.

Par Julien Descalles— Publié le 01/03/2024 à 10h00

Future mine d’extraction exploitée par la société française Imerys, dans l’Allier. Quelque 34 000 tonnes d’hydroxyde de lithium devraient en sortir d’ici à 2028. De quoi produire 700 000 batteries de voiture.
Future mine d’extraction exploitée par la société française Imerys, dans l’Allier. Quelque 34 000 tonnes d’hydroxyde de lithium devraient en sortir d’ici à 2028. De quoi produire 700 000 batteries de voiture.© Abaca

Près d’Échassières, dans l’Allier, sur le site de Beauvoir plus exactement, l’une des plus importantes exploitations de lithium d’Europe devrait voir le jour d’ici à 2028. La société Imerys, propriétaire des lieux, ambitionne d’y extraire 34 000 tonnes d’hydroxyde de lithium chaque année, et ce, pendant au moins vingt-cinq ans.

Une matière première indispensable à la fabrication des batteries. De quoi équiper quelque 700 000 véhicules électriques annuellement, soit 35 % de l’objectif gouvernemental (2 millions à l’horizon 2030). Mille emplois directs et indirects sont en jeu.

« À l’heure de la transition énergétique, cette mine est une richesse dont on a besoin. Le projet est d’autant plus intéressant qu’il va nourrir toute une filière industrielle », ajoute Stéphane Destugues, secrétaire général de la CFDT-FGMM (Fédération générale des Mines et de la Métallurgie).

“Avoir des mines sur son territoire, c’est garantir sa souveraineté énergétique, technologique, stratégique” 

Guillaume Pitron

1. La Guerre des métaux rares – La face cachée de la transition énergétique et numérique. Éditions Les Liens qui libèrent, 296 pages.

Le précieux minerai alcalin pourrait en effet alimenter les quatre gigafactories des Hauts-de-France en cours d’installation. Un cas concret de réindustrialisation de l’Hexagone, en somme.

« Avoir des mines sur son territoire, c’est garantir sa souveraineté énergétique, technologique, stratégique », affirme Guillaume Pitron, auteur de La Guerre des métaux rares1. Et le chercheur (associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques) de prévenir : « L’Europe représente à peine 1 % du lithium produit dans le monde alors que ses besoins promettent d’être exponentiels. Sans diversification des approvisionnements, on se retrouvera dans une situation de dépendance similaire à celle d’aujourd’hui avec les hydrocarbures, à commencer par le gaz russe. »

Inquiétudes environnementales

Reste que l’arrivée de la mine génère aussi son lot d’inquiétudes. À commencer par son impact environnemental: paysage abîmé, densification du trafic routier pour évacuer le minerai et surtout risque d’assèchement et de contamination des nappes phréatiques et rivières alentour. Car extraire le lithium implique de broyer la roche dans laquelle il est présent puis de la mélanger à de l’eau dans de vastes piscines. Soucieuse de rassurer, Imerys rappelle d’abord le choix de creuser une mine souterraine, tout comme le seront les salles où concasser, et ce, sur une mine déjà en cours d’exploitation –une carrière de kaolin.

A priori pas de collines éventrées, de bruit assourdissant ou de poussières qui retombent, donc. Toujours selon l’exploitant, le minerai devrait par ailleurs être évacué par une canalisation longeant les routes jusqu’à une gare des environs, le train prenant alors le relais. Plus floues sont les réponses relatives aux répercussions sur l’eau, le groupe évoquant des études encore en cours.

Assumer le coût de la transition énergétique

Guillaume Pitron, lui, n’élude pas le sujet : « Une mine propre avec zéro impact, zéro émission, cela n’existe pas. Faut-il pour autant faire l’autruche et continuer de délocaliser ailleurs dans le reste du monde le coût environnemental de notre transition ? » Pour le chercheur, accueillir des mines en Europe est une question de responsabilité… mais aussi d’exemplarité écologique.

“Personne ne veut de mines ou d’activités industrielles à côté de chez elle. Le vrai défi, c’est comment on les rend acceptables socialement et responsables écologiquement”

Stéphane Destugues

« Produire le lithium chez nous serait évidemment plus respectueux de l’environnement. Parce que les normes et les réglementations y sont infiniment plus élevées et contraignantes, et que la société civile et les médias peuvent faire pression en cas de dérives. Parce que les technologies d’extraction sont plus avancées aussi. Et enfin parce que l’électricité nécessaire à l’ensemble de l’activité (l’extraction, le raffinage, les usines de batteries…) est bien plus décarbonée grâce à notre mix énergétique – quand l’Australie ou la Chine recourent massivement au charbon », argue-t-il.

«Personne ne veut de mines ou d’activités industrielles à côté de chez elle. Le vrai défi, c’est comment on les rend acceptables socialement et responsables écologiquement, plaide de son côté Stéphane Destugues. D’où la nécessité de se montrer exigeants –les syndicats, les élus, l’État– sur ce que l’on injecte dans le sol ou rejette, et d’accompagner la mise en route des projets d’une part, d’organiser la concertation avec les habitants d’autre part.» Le projet d’Échassières fera ainsi l’objet d’un débat public au printemps. Seule certitude: si elle se concrétise, la mine ouvrira assurément la voie à d’autres. Déjà, des demandes de permis de recherche ont été déposées dans le Puy-de-Dôme et en Alsace.

« Ce qui n’implique pas de creuser partout où il y a des gisements, et encore moins de sacrifier des zones protégées », prévient toutefois Stéphane Destugues, qui insiste également sur le recyclage, une solution encore sous-exploitée. « Plus on trie et on retraite, moins il y aura besoin d’aller chercher des ressources dans notre sol », rappelle le secrétaire général de la CFDT-FGMM.

Un nouvel Eldorado

Qui nourrit aujourd’hui le marché des batteries lithium-ion (52 milliards de dollars en 2022, montant estimé à 194 milliards en 2030) ? L’Australie (66000 tonnes extraites en 2022) et le Chili (39 000 tonnes) fournissent plus de 70 % du minerai mondial. La Chine (19 000 tonnes) complète le podium. Face à ces géants, le Portugal, premier pourvoyeur européen, fait pâle figure avec à peine 600 tonnes prélevées. Alors que l’Europe s’apprête à basculer dans le tout-électrique, l’enjeu de produire davantage sur le continent est évident.

En France, le Président a chargé le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) de réaliser un « grand inventaire des ressources minières » nécessaires à la transition écologique, le dernier ayant été effectué entre 1975 et 1995. Si les premiers résultats sont attendus dans le courant de l’année, le potentiel du nord du Massif central, du Limousin à l’Allier, et celui de la Bretagne sont déjà connus. Autre source potentielle : les eaux de saumure de la plaine d’Alsace et du Massif central. Car il y a plusieurs manières d’obtenir de l’hydroxyde de lithium (il en faut dix kilos pour une batterie de voiture électrique) : l’extraire des salars, des eaux de saumure ou encore du spodumène*. La première technique s’avère moins coûteuse et moins émettrice de gaz à effet de serre que l’explosion de la roche, mais elle nécessite d’énormes quantités d’eau ; pour une tonne de lithium, deux tonnes d’eau s’évaporent au soleil !

* Minéral dans lequel est emprisonné le lithium.