Comment les ordonnances ont impacté les licenciements ?

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iconeExtrait de l’hebdo n°3882

Dans une récente étude, deux chercheuses constatent une augmentation des licenciements pour faute grave et lourde après la mise en place des ordonnances travail. Les salariés de la deuxième ligne sont les plus concernés.

Par Sabine Izard et Emmanuelle Pirat— Publié le 11/07/2023 à 12h00

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© Laurent Cérino/RÉA

L’ordonnance no 2017-1387 du 22 septembre 2017, qui rend impérative l’application d’un barème en matière d’indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse, avait vocation à accroître les embauches et, in fine, l’emploi par une plus grande sécurisation et prévisibilité du coût des licenciements. Trois ans après, qu’en est-il ? Quel est son impact réel sur le comportement des employeurs ?

Telle est la question que se sont posée deux chercheuses, Camille Signoretto, maître de conférences en économie à l’Université Paris Cité, et Julie Valentin, maître de conférences en économie à l’Université Paris 1, pour la revue Droit social de juin 2023 dans leur étude intitulée « Quels changements de comportement des employeurs après l’ordonnance travail instituant le barème et modifiant les règles du licenciement ? ». Selon les premiers résultats, « seuls les licenciements pour faute font apparaître une rupture de tendance à la suite de la mise en place de cette ordonnance ». En outre, ce sont « les salariés de la seconde ligne qui apparaissent les plus concernés ».

Une augmentation de plus de 32 %

Entre la fin 2017 et la fin 2021, le nombre de licenciements pour faute grave et lourde – à savoir les licenciements qui refusent au salarié le versement d’une l’indemnité légale de licenciement – s’est accru de 32,3 %. C’est un rythme plus soutenu que celui observé entre le troisième trimestre de 2015 et le troisième trimestre de 2017 (+ 28,4 %), avant l’entrée en vigueur des ordonnances. « Au niveau annuel, l’évolution est nette, expliquent les deux chercheuses. En 2016, sur 100 licenciements pour motif personnel, 43 l’ont été pour faute grave, 21 pour inaptitude et 36 pour les autres motifs, alors qu’en 2021, il y en avait 51 pour faute grave, 21 pour inaptitude et 28 pour les autres motifs. »

Cette progression s’expliquerait, selon les chercheuses, à la fois par la hausse du montant de l’indemnité légale de licenciement et une modification de ses règles d’octroi mais aussi par l’instauration du barème concernant les licenciements sans cause réelle et sérieuse. Conséquence, explique l’étude : le licenciement pour faute grave permet à l’employeur de « réaliser une économie sur les indemnités légales » puisqu’il n’a pas à les verser avec ce mode de rupture du contrat de travail, ainsi qu’une « économie potentielle sur le montant maximal des indemnités à verser si le salarié saisit les prud’hommes et que le licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse », ces montants étant désormais plafonnés.

Une quinzaine de métiers particulièrement vulnérables

D’après les deux chercheuses, les licenciements pour faute sont concentrés sur un petit nombre de professions, en l’occurrence une quinzaine, particulièrement vulnérables : nettoyeurs, employés de libre-service du commerce et magasiniers, serveurs, caissiers de magasin, aides à domicile, etc. « Toutes ces professions figurent dans le champ dit de deuxième ligne de la crise sanitaire, dont les conditions de travail et d’emploi sont particulièrement dégradées et où le taux de syndicalisation est significativement plus faible, à l’exception des agents de sécurité. »

« Non seulement la mise en place des barèmes fragilise la compensation des travailleurs les plus précaires mais, en plus, elle facilite leur licenciement ! Pour la CFDT, c’est inacceptable, réagit Jocelyne Cabanal, secrétaire nationale de la CFDT. Heureusement, l’étude met en évidence la protection qu’apporte une présence syndicale au sein de l’entreprise : voilà une raison de plus pour chercher à nous développer, et surtout dans les TPE-PME ! »

Prud’hommes : la Cour des comptes préconise un “plan de redressement”

En matière prud’homale, les réformes de 2016 et 2017 ne semblent pas avoir résolu les difficultés récurrentes liées au fonctionnement des conseils de prud’hommes, juge la Cour des comptes dans un rapport publié le 22 juin. Sans remettre en cause la mission sociale « centrale » des conseils de prud’hommes, la Cour étrille les conditions de son fonctionnement, et notamment les délais de traitement des affaires, passés de près de dix mois en 2009 à plus de seize mois en moyenne en 2021, alors même que les réformes récentes ont conduit à une nette baisse des saisines (– 30 % depuis 2008).

Le rapport pointe également les taux d’appel toujours excessifs (63 % en moyenne), qui restent beaucoup plus élevés que dans les autres juridictions. En ce qui concerne les conditions d’indemnisation des conseillers (un taux horaire de 6,76 euros pour les conseillers prud’hommes salariés et de 13,52 euros pour les conseillers prud’hommes employeurs) mais aussi leur formation (initiale et continue), la Cour des comptes invite à une refonte en profondeur.

Si la majorité de ces constats corrobore les remarques des conseillers prud’hommes CFDT – réunis le 11 mai lors d’un rassemblement salle Gaveau à Paris –, plusieurs préconisations de la Cour heurtent les positions CFDT, « notamment lorsque la Cour propose de revoir la carte et l’organisation des conseils de prud’hommes », pointe le service juridique confédéral. Ce qui, en d’autres termes, signifie la fermeture de certains CPH, la révision du découpage des sections et la réduction du nombre de conseillers, que la Cour estime aujourd’hui « très élevé ». La CFDT restera donc très vigilante quant aux suites données à ce rapport.